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Les écrits d'une paria de la vie qui ne demandait qu'à en être
14 août 2018

A toi que je ne connaitrai jamais

A toi mon enfant, ma vie, mon sang, mon bébé, ma progéniture. A toi mon amour que je ne serrerai jamais dans mes bras. A toi mon petit que je ne sentirai jamais grandir en moi. A toi mon petit être dont je n’aurai jamais la chaleur sur ma peau.

Je ne sais par où commencer pour toi, que je ne rencontrerai jamais. Serais-tu un garçon, une fille ? T’aurait-on attendu pendant de longs mois, années, ou aurais-tu annoncé le bout de ton arrivée au premier essai ? Aurais-tu été un petit ange dès le stade embryonnaire ou m’aurais-tu faire vivre l’enfer pendant la grossesse ?

Est-ce que mon ventre aurait grossi très vite, est-ce que ma poitrine serait restée mince, est-ce que ma peau si fragile aurait supporté le choc ou bien serait-elle devenue un océan de vergetures et de veines ? Est-ce que tu aurais souvent bougé, est-ce que tu aurais donné des coups de pieds à toute heure de la nuit ? Est-ce que tu aurais été si sage que j’aurais filé à l’hôpital régulièrement pour être rassurée sur le rythme léger de ton petit cœur en construction ?

Est-ce que j’aurais été malade, à vomir mes entrailles pendant des mois, à hurler de douleur sous les cystites et hémorroïdes ? Est-ce que j’aurais passé des nuits entières à chercher mon souffle sous ce ventre énorme ? Aurais-je seulement passé une journée sans râler sous le poids de cet être humain en devenir ?

Aurais-je supporté une grossesse sous intense surveillance médicale ? Aurais-je supporté l’angoisse de chaque écographie ? Aurais-je accepté de passer 9 mois sous aspirine et à passer des prises de sang toutes les semaines ?

Aurais-je supporté de te faire avaler toutes ces saloperies alors que tu n’étais pas encore au monde ? Aurais-je supporté de prendre le risque de te perdre à chaque instant à cause de cet organisme qui déraille ? Aurais-je seulement dormi la nuit à l’idée que tout cela pouvait te rendre cardiaque, lourdement handicapé ou te tuer ?

Pourtant je donnerais des années de ma vie pour savoir ce que c’est que de tenir ce fichu test de grossesse positif dans la main. D’avoir des larmes de joie qui montent aux yeux et de hurler d’amour en courant dans les bras de celui qui aurait été ton papa. De dégouliner d’un amour béant et sans borne à l’idée de t’accueillir parmi nous dans quelques mois.

Je donnerais n’importe quoi pour passer une échographie où nous te verrions bouger comme une petite larve, où nous entendrions ton cœur battre, où nous verrions ta petite tête encore disproportionnée évoluer à chaque fois.

J’aurais supporté les varices, les infections en tout genre, d’être alitée pour te sentir bouger ne serait-ce qu’une fois. J’aurais supporté toutes les insomnies du monde pour voir mon ventre gonfler un peu plus chaque semaine et attendre avec impatience le soir pour que ton papa pose ta main dessus en guettant tes mouvements.

Comme toutes les femmes du monde j’aurais été tétanisée à l’idée d’accoucher. Les contractions, les complications, l’épisiotomie, les points de suture, les hémorragies, l’immense aiguille de la péridurale. Que cela dure des heures et des heures, que je n’en puisse plus de la douleur, que je n’ai plus la force de pousser, que mes entrailles se déchirent au rythme de mes tentatives de te sortir. Que je tourne de l’œil, que je ne sache pas faire, que tu arrives du mauvais sens, qu’on te sorte par césarienne, que je tombe dans le coma, que je fasse une septicémie, que tu ne respires pas, que tu t’enroules dans ton cordon, que tu t’étouffes.

Que ton père ne sache quoi faire, que je lui broie la main, qu’il ne me voie plus jamais pareil, qu’il tombe dans les pommes, que je l’insulte, que je le morde, que je lui dise que je le hais et que c’est de sa faute.

Pourtant comme toutes les femmes du monde au prix d’heures épouvantables de douleur j’aurais tout oublié dès ton premier cri, dès qu’au-delà de mes yeux vitreux et brûlants de douleur j’aurais enfin croisé ton regard. Dès que ton petit corps tout chaud et gluant aurait été posé sur le mien. On aurait pleuré de joie, de peine, d’amour, de peur, de toutes les émotions du monde en te rencontrant.

Pleurer d’insouciance, face à l’inconnu de la tâche immense qui nous attendrait. Comment te prendre toi, petit être si fragile, dans nos bras. Comment te bercer, te laver, te nourrir, te consoler, te soigner, t’élever, te faire grandir, t’aimer. Comment élever à la vie un petit être qui n’a rien demandé et qui n’est là que par l’amour égoïste de deux êtres.

Comment s’en sortir entre les nuits blanches, les douleurs d’un organisme en reconstruction, les multiples cicatrisations du corps et de l’esprit, le déséquilibre d’un couple en recherche de nouveaux  repères, les multiples contraintes logistiques et toi mon tout petit.

Toi, mon bébé, si fragile et si dépendant au milieu de tout ce chaos. Toi qui ne nous laisserait pas une minute à nous et qui nous amènerait au bout de l’usure, de la fatigue, du désarroi, de tout. Et toi que nous regarderions avec tout l’amour du monde, dont je regarderais avec un mélange de panique et de fierté la petite cage thoracique se soulever.

As-tu assez mangé, as-tu faim, soif, as-tu bien dormi, as-tu chaud ou froid, te sens-tu à l’aise, es-tu malade, as-tu besoin de quoi que ce soit ? Est-ce normal que tu pleures, est-ce normal que tu cries ? Comment font les autres, est-ce que je m’en sors bien, est-ce que j’aurais pu faire mieux ?

Suis-je trop collante, trop laxiste, trop étouffante, trop distante, est-ce que ces vêtements sont les bons, est-ce que l’alimentation est correcte, est-ce que nous avons fait les bons choix ?

Nous aurions tout fait pour que la maison raisonne de tes rires, que tu n’aies besoin que d’afficher des sourires. Pourtant comme tous les enfants tu aurais hurlé, pleuré, fais des caprices, des comédies. Peut-être que parfois nous aurions eu envie de t’abandonner au milieu de l’aile du supermarché ou tu hurlais à la mort sans raison.

Mais tu vois mon amour, mon tout petit, tout ça je ne peux que l’imaginer. Le rêver, le fantasmer, le projeter. Car tu ne seras jamais là. Je ne connaitrai jamais ton parfum, je ne passerai jamais ma main dans tes cheveux, je ne reniflerai jamais l’odeur de ton cou à m’en étouffer, je ne serrerai jamais tes petits doigts dans les miens, je ne te regarderai jamais dormir.

Je ne m’énerverai jamais après toi, je ne te gronderai jamais, je ne changerai jamais tes couches nauséabondes, je ne pleurerai jamais de fatigue, je ne t’emmènerai jamais aux urgences parce que tu as trop de fièvre, je ne saoulerai jamais personne avec tes photos dans mon smartphone.

Parce que tu vois mon amour, on ne vit pas dans un monde d’insouciance. L’homme a détruit tout ce qu’il y a sur Terre ou presque. Ta maison, ton doux nid, ton foyer, a été ravagé, pillé, pollué, détruit à un point de non-retour. Tout ce qui pourrait composer ton monde est en train de disparaitre à cause de la bêtise sans fond de l’Homme. Il a scié la branche sur laquelle il est assis, et ce n’est plus qu’une question d’années maintenant. Bientôt peut-être tout sera tellement pollué que l’Homme ne pourra plus subvenir à ses besoins. Le soleil sera trop chaud et brûlera les terres nourricières. Il assèchera les cours d’eau. L’homme étant individualiste et égoïste, il ne coopérera pas pour s’en sortir, il essaiera de sauver sa peau avant celle des autres. Il pillera, volera, brûlera, tuera pour essayer de vivre quelques semaines de plus.

Peut-être que la folie humaine déclenchera une autre guerre, peut-être que les hommes utiliseront les bombes nucléaires, peut-être que les centrales exploseront et que nous mourrons tous de radiations et sous le feu des armes.

Dans tous les cas mon petit, mon bien-aimé, ma vie, je ne supporterais pas de te donner le jour sous de telles perspectives. Comment pourrais-je te regarder dans les yeux, comment pourrais-je te donner la vie en sachant que nous sommes déjà bien trop nombreux sur cette terre. Comment pourrais-je te faire grandir en sachant que tout peut s’effondrer bientôt.  Comment accepterais-je l’idée même que tu grandisses de la peur de ton avenir dès le berceau alors que moi-même je suis tétanisée aujourd’hui ? Comment aurais-je la légitimité de sécher tes larmes quand nous t’aurions créé en pleine conscience ?

Comment au-delà de ça supporterais-je de te léguer un patrimoine génétique si fragile, de prendre le risque que tu hérites de nos maladies, handicaps et autres complications qui pourraient transformer ta vie en enfer ?

Comment parviendrais-je seulement à supporter sans envie de meurtre que tu puisses être exclu, blessé, violenté, maltraité à cause de cela sans que je sois là ou que je puisse faire quoi que ce soit pour t’aider ?

Alors voilà mon amour, c’est l’histoire d’une rencontre qui n’aura jamais lieu. D’un amour fusionnel et sans fin que nous ne vivrons jamais. D’un deuil qui ne se terminera jamais puisqu’il n’aura jamais réellement commencé. Mais j’aurais aimé être ta mère jusqu’à la nuit des temps.

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